Depuis les quelques mois que j’étais arrivé dans cette école, j’avoue que j’avais encore parfois un peu de mal à me faire au rythme des cours, et surtout à bien suivre tout en coréen. Même si je le parlais de mieux en mieux, c’était tellement différent de ma langue natale, même l’écriture ne ressemblait pas du tout, d’où une certaine difficulté à communiquer parfois. Le Japon me manquait beaucoup, mais au moins ici, je me sentais libre, sans avoir la pression de mes parents sur le dos, ni les sbires du clan qui me suivaient partout, pour ma sécurité. Ici, je n’étais pas connu comme l’héritier probable d’un clan yakuza, mais juste comme un jeune japonais venu tenter de percer dans la musique en Corée. Enfin… A quelques exceptions près.
Une de ces exceptions était lui, Wakahisa Shinobu. Je l’avais rencontré dans le bar où je travaillais en débarquant en Corée. On s’était vite bien entendu et j’avais l’impression qu’on était devenus amis, j’étais tout content de l’avoir trouvé, je n’avais jamais eu de vrai ami, même lorsque j’étais au Japon, ce n’étaient que les enfants des subalternes de mon pères qui trainaient avec moi pour suivre les ordres de leurs parents. Alors quand Wakahisa m’a rejeté d’un coup, se montrant froid et distant, méchant presque, ça m’a vraiment fait mal au cœur. Il était mon sempai à l’école, mais je n’osais même pas l’approcher, vu les regards froids qu’il me lançait souvent. Je me suis demandé pendant un moment ce qui avait bien pu se passer pour qu’il réagisse comme ça avec moi, puis j’ai fini par comprendre qu’il savait à propos de ma famille, du clan. Je n’étais sans doute devenu pour lui qu’un fils de yakuza, méprisable, dangereux. Ne pouvais-je donc y échapper, même si éloigné de mon pays d’origine ?
Depuis, j’avais l’impression de prendre moins de plaisir dans la musique, que cette sensation de plénitude était gâchée par ce sentiment de rejet, de froideur, par cette impression de ne pouvoir échapper à l’image de sa famille. Une certaine tristesse l’envahissait souvent quand il repensait à tout ça, quand il se disait qu’à présent qu’il était enfin dans une école où il pouvait vivre sa passion à fond, il n’arrivait plus à y trouver l’entrain nécessaire pour évoluer. La solitude dans ces moments là lui pesaient bien plus qu’à l’ordinaire.
Le seul endroit que j’avais trouvé et qui m’apaisait était le toit du bâtiment principal de l’école. J’avais trouvé le chemin pour m’y rendre un jour par hasard peu après mon arrivée. J’avais eu comme un coup de foudre pour cet endroit. C’était si calme, si apaisant, les bruits de la ville n’étaient qu’un léger bruit de fond presque agréable, il était mélangé aux musiques et aux chants dans l’école qu’on entendait aussi en sourdine. Il n’y avait alors que le vent agréable, le bleu du ciel, le soleil, les oiseaux qui volaient non loin, et le calme. Ca m’étonnait de ne jamais avoir vu personne mais finalement ça m’arrangeait.
Pendant les vacances qui venaient de s’écouler, j’en avais profité pour aller travailler au bar, j’étais content d’avoir retrouvé mon patron, les shows et l’ambiance du bar. De retour à l’école, j’avais eu envie d’aller me ressourcer dans mon petit coin favori. Les écouteur dans les oreilles, enveloppé dans un monde de musique, je m’étais presque coupé du monde et je grimpais machinalement les escaliers menant au toit. Il n’y avait jamais personne ici, alors j’avançais sans faire attention à ce qu’il se trouvait autours, fermant les yeux en m’étirant pour profiter du soleil. Mais une sensation étrange d’une présence me fit rouvrir les yeux, mon regard tomba alors sur lui. Je me figeais quelques secondes, appréhendant la remarque cinglante qu’il allait probablement me lancer dès qu’il aurait remarqué ma présence. Une sensation de tristesse m’envahit alors, si lui aussi venait sur le toit à présent, j’allais perdre mon petit coin de paradis.
Un soupir que j’avais espéré discret, mais qui ne l’était certainement pas tant, et après avoir pesé le pour et le contre, à contrecœur, je me retournais, me dirigeant lentement vers la porte. Désormais, il faudrait que je trouve un nouveau refuge…
BY .TITANIUMWAY