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Je n'ai pas peur. Non, je n'ai pas peur. Et si mes mains tremblent, c'est certainement d'impatience - ou alors, au contraire, parce que je suis effectivement tétanisée. Mais je ne peux arrêter de me focaliser sur ces regards qui m'assaillent, sur ce jury qui me scrute ; et je me demande s'ils me trouvent à ma place, s'ils me considèrent un minimum douée. Et je panique, encore un peu plus.

J'ai toujours douté de moi, j'ai toujours eu peur des jugements. Être née dans le luxe et l'argent, de parents influents, a étonnement été un lourd fardeau. Devoir faire mes preuves, être à la hauteur et démontrer constamment que mes possessions sont méritées ; devoir sourire, être présentable en toutes circonstances et accepter les remarques insultantes sous prétexte que j'ai déjà tout ce dont un homme peut rêver : cela a trop longtemps été ma hantise. Et je me suis effacée, je me suis oubliée, ne faisant attention qu'à mon nom et les réactions qu'il pouvait bien susciter. Jusqu'à ce que, soucieux, mes géniteurs décident de m'inscrire à des cours de théâtre afin de me faire sortir de cette coquille si chaleureusement mienne. Jusqu'à ce qu'un beau matin, je découvre enfin ma voie.

Ma vie était loin d'être rythmée par de quelconques envies banales d'adolescente. Treize ans, mais pourtant toujours aussi solitaire et perdue entre mes rêves, la réalité et les apparences, je déprimais avant même d'avoir découvert les véritables joies de l'existence. J'allais à l'école, dans l'une de celles trop privées à mon goût, avant de rentrer m'occuper jusqu'au coucher, pour recommencer dès le lendemain. Je ne prenais ni plaisir à travailler, ni plaisir à rencontrer qui que ce soit ; entre les gamins imbus d'eux-mêmes à trop chercher l'originalité, ceux excessivement à la mode et perpétuellement accrochés à l'image ainsi que les intellectuels toujours plongés dans d'innombrables projets, j'étais incapable de me faire une place où que ce soit.  

Peut-être était-ce cet univers de richesse et du « tout est possible » qui m'empêchait de trouver mon chemin et de m'affirmer au passage, je n'en sais rien, restait simplement le fait que ma vie manquait cruellement d'un je ne sais quoi et qu'il m'était impossible de le pointer du doigt. Puis, je les ai rencontré. Cette petite troupe de comédiens amateurs dans le quartier nord de Busan. Certainement ne les aurais-je jamais croisé si ma mère ne les avait pas vu se produire dans une rue passante de la ville, me poussant par la suite à les rejoindre, mais rien que cette éventualité me retournerait presque l'estomac. À y repenser, je ne pourrais imaginer ma vie sans eux et cette passion qu'ils ont su me léguer.

Ce n'était pas d'être enfin entourée qui me plut. Ce n'était ni les costumes, ni les textes ou bien même l'idée d'être admirée sur une scène. Non. Je pouvais, tout bonnement et pour la première fois, me transformer en ce que je souhaitais et au moment où je le voulais. Je pouvais enfin être tous mes rêves à la fois ; tantôt chanteuse, tantôt astronaute, je n'aurai jamais plus à choisir, je n'aurai jamais plus à avoir peur de prendre une mauvaise décision. J'exercerai un métier caméléon, un métier me permettant d'en vivre d'autres : je serai actrice.


On constata une métamorphose en moi, malgré mes efforts pour démontrer que j'avais toujours été ainsi. Mais la vérité était que je m'étais également découverte sous un jour nouveau. Et je me plaisais enfin, incontestablement. Je voulais aller à l'encontre du public, à l'encontre du monde entier. J'étais prête, j'étais certaine - et je n'avais jamais été aussi sûre de la direction qu'il me fallait prendre.

Fille unique, ne possédant ni oncles, ni tantes, ni grands-parents, je n'eus que mes parents à convaincre. Et je n'eus pas à le faire, d'ailleurs. Ils avaient compris, ils étaient heureux et aussi prêt à en découdre que je ne pouvais moi-même l'être - ils avaient réussi leur vie afin que je puisse profiter de la mienne et ils me soutiendraient, jusqu'au bout. Ils m'amenèrent en personne à chacun de mes cours, se présentèrent à chacune de mes apparitions et me conseillèrent du mieux qu'ils le purent. Ils me mirent même en lien avec certains acteurs déjà connus dans le monde du septième art et je pris en considération chacun de leur conseil. Mais si je refusais le piston sous les yeux étonnés de certains, tous comprirent mon envie de rejoindre la Kirin Art School ; elle restait l'école la plus réputée du pays.

Debout face à ceux qui auront, d'ailleurs, le point final quant à mon avenir à la dite Kirin Art School, je me lance dans l'improvisation que l'on vient de me demander. J'essaie, malgré mes mauvaises habitudes, d'avoir l'air la plus confiante possible. Pourtant, à l'intérieur, je panique à nouveau et plus fort encore. Mais penser au chemin parcouru, à ma famille et mes amis, cela m'aide et me donnerait presque des ailes.

J'envahie la pièce, n'hésite pas à m'imposer et marche, prenant possession de la scène aménagée pour l'occasion. J'ai l'impression de gérer autant que je perds pieds, me lançant dans un texte dont je ne connais même pas les mots avant que ceux-ci ne soient sortis de ma propre bouche ; j'aime ça, j'aime bien trop ça. Et je suis faite pour ça, j'en suis certaine, mais la peur reste trop présente. L'éventualité d'être refoulée s'abat sur moi et me ferait presque perdre mes moyens, si seulement je n'avais pas tant travailler cet aspect de ma personnalité - et mon sang-froid s'est très nettement améliorer, ce qui m'empêche de m'écrouler sous le trac.

Oh, bien sûr, dans le pire des cas, mes parents pourraient m'offrir une école bien plus renommée, bien plus privée et bien plus à l'étranger. Mais ce que je suis venue trouver ici, je ne pense pas le retrouver ailleurs. Je veux être jugée pour mes capacités, pour ce que je suis et je sais qu'ils le feront - après tout, ils ne sont pas connus pour leur langue de bois. Alors, je donne mon maximum, comme si ma vie en dépendait. Et je continue mon improvisation, comme si mon esprit ne se souciait que de ça.